
Question difficile à traiter, le domaine de l’art ne relevant pas d’une science exacte comme peuvent l’être les mathématiques, la physique ou la chimie.
Tout d’abord qu’est-ce que l’art ? L’art est le moyen d’exprimer, de communiquer et de soumettre aux autres ou simplement à soi-même une sensation, une pensée, un sentiment, une vision des choses de la vie, qu’elles soient matérielles, naturelles ou imaginaires. Dans son exposé sur Courbet au lycée Sainte-Marie d’Antony, l’académicien Jean-Luc Marion disait en préambule que l’art c’est produire et non reproduire, remarque importante dans la question qui nous concerne ici. Il voulait par-là montrer que réaliser une œuvre d’art c’est sortir de la réalité et, pour l’artiste, offrir sa propre vision des choses au sens large du terme. La peinture n’est jamais de la photo même dans la plus pure représentation figurative.
Ce court préalable établi quelle est la valeur des critiques qu’un public d’artistes s’autorise à faire devant une œuvre picturale qui lui est soumise ? On peut entendre des remarques telles que « j’aurais mis du rouge et non du vert » « c’est trop centré » « ton horizon est trop bas » etc…Ces observations peuvent être justifiées sur un plan purement technique, mais ils ne tiennent généralement pas compte de la pensée de l’artiste au moment où il a réalisé son œuvre. Un artiste de qualité connu de beaucoup d’entre vous place toujours son horizon très proche du bord inférieur de sa toile. Courbet lorsqu’il a peint son célèbre chêne a placé le tronc au centre de sa toile. Ces exemples pourraient être critiquables mais relèvent sans doute de volontés, dans le premier cas celle d’exprimer un ressenti face à l’immensité du ciel et à la beauté des masses nuageuses et dans le second cas celle d’exprimer une forte impression face à la puissance d’un tronc de chêne plusieurs fois centenaire. Courbet est même allé jusqu’à tronquer le feuillage de ce chêne par les bords de sa toile pour marquer d’un accent cette impression.
Pour la question qui nous concerne ici il est par conséquent préférable que les premiers échanges lors de la présentation d’une œuvre portent essentiellement, pour l’exposant, sur sa pensée et sur ce qu’il voulait représenter en réalisant cette œuvre et, pour le public d’artistes, sur son ressenti émotionnel, son incompréhension, sa gêne ou encore sur le côté plaisant de la représentation picturale. Ce n’est qu’à partir de ces premiers échanges que les suggestions et critiques devraient être formulés mais sans trop de précision comme celle d’un choix de couleur. En revanche si l’auteur de l’œuvre le demande on peut lui suggérer des idées pour accentuer un effet de lumière ou un contraste mais l’exposant doit toujours rester propriétaire de sa création. Celle-ci ne doit pas être en final le résultat de conseils trop précis. Il ne faut pas perdre de vue qu’un artiste qui s’exprime au travers de l’art dévoile une partie de lui-même. Des remarques trop catégoriques pourraient exacerber sa susceptibilité et atteindre son sentiment d’appartenance. Il doit pouvoir pleinement savourer le plaisir d’avoir exécuté une œuvre à succès. De même si c’est un échec il doit l’attribuer à sa représentation ou à ses choix de couleurs. Les corrections viendront de lui-même ! Nous ne sommes pas ici dans le cadre de l’enseignement des techniques picturales mais dans celui des présentations et des échanges d’impressions. L’exposant doit tirer lui-même les conclusions de ce qu’il entend et s’interroger sur la nécessité d’en tenir ou non compte. Pour terminer ce bref exposé issu d’une réflexion entre membres du CA du CCAA, une remarque qui a son importance pour la création artistique : la pensée initiale évoquée précédemment, celle de l’artiste lorsqu’il peint, ne doit pas être de produire quelque chose pour le vendre mais en premier lieu d’exprimer par une technique personnelle, des beautés naturelles perçues dans les choses de la vie, un ressenti voire un fantasme ou un inconscient que l’artiste se révèle à lui-même. Certains le font par l’écrit, la musique, la danse, la musique, la danse. La vente est un second aspect qui récompense le premier.
Voilà le résultat d’une réflexion qui n’a pas la prétention de devenir une règle incontournable mais qui peut contribuer à de bonnes relations entre artistes.
Anne Legouy, Daniel Lucas
C’est vrai qu’il est très difficile de commenter ou de donner un avis sur une oeuvre d’art. C’est d’autant plus difficile que l’oeuvre est abstraite. Pour moi, la qualité primordiale d’une oeuvre abstraite est qu’au delà de la réalisation matérielle, on perçoive une intention : au delà de la main, il doit y avoir un cerveau. Une figure aléatoire, si belle soit-elle n’est pas une oeuvre d’art. Il en est de même pour la vision d’un paysage naturel aussi sublime soit-il. Ce paysage existe indépendamment de nous. Nous n’y sommes pour rien !
Je postule donc que l’oeuvre d’art repose toujours sur une réalité complexe interprétée par un cerveau. C’est une création.
Nous ne percevons le réel qu’à travers le filtre de nos sens. Le décalage entre la réalité « vraie » et la réalité « perçue » résulte d’une sorte de cryptage mystérieux que les sciences cognitives et les neurosciences s’efforceront de décoder.
Je pense que l’art peut fournir un raccourci vers l’élucidation de ce mystère fondamental.
Le cerveau pensant qui, lui aussi, fait partie du réel, peut révéler par l’activité artistique les illusions dans lesquelles il baigne et nous entraîner dans un vertige poétique qui transcende le réel. C’est l’oeuvre d’art !